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Pour François Baudot, pilier du Palace de Fabrice Emer, la mode - industrie à laquelle cet inclassable aura dédié une trentaine d'ouvrages - telle que nous l'entendons n'a pas toujours existé. C'est au XIXe siècle que nous la devons ! Comme les notions d'art décoratif et d'art appliqué. Un passé auquel nous rattache un lot de postures et de comportements esquissé dans De fil en aiguille, Évolutions et révolutions de la mode contemporaine, un texte ouvrant le catalogue édité à l'occasion de l'exposition Nos Années 80 du Musée des Arts de la Mode (1989 -1990) que fauves a décidé de vous partager période après période. Un rattrapage express en plusieurs épisodes.
« Costume de cour, de ville, de travail, l'Ancien Régime s'habille moins en fonction de l'air du temps que de la grille subtile des castes françaises. Étiquette, lois somptuaires, livrées, soutane, trousseau de noce... l'aristocratie de droit divin, ni ses féaux, n'ont rien à prouver, que leur fantaisie, leur foi ou leur humilité. Ce n'est plus le cas de la société bourgeoise née de la révolution industrielle. Le couturier Worth, premier du nom, va lui fournir, au cours du Second Empire, l'un des éléments essentiels de sa "distinction" en codifiant le rythme saisonnier de la mode et des présentations sur mannequins vivants. Plus encore, en instituant le caprice créateur comme régulateur des apparences, il jette les bases de la Haute-Couture telle qu'elle perdure aujourd'hui. Aux privilégiées de suivre la mode des grandes maisons. Les autres se contentant de porter l'uniforme de leur condition.
Après la grande fracture de 14-18, Gabrielle Chanel réajuste le tir. Prémonition des futurs glissements sociaux ? Elle impose un style qualité par Poiret de "misérabilisme de luxe". Mais qui n'a rien perdu de son actualité. Cependant l'allure Chanel ne remet pas en question le système de la Haute-Couture. Ainsi, jusqu'en 1939, celle-ci demeure-t-elle une importante industrie de main-d'oeuvre. Des maisons comme Patou, Lanvin ou Vionnet employant deux à trois mille personnes pour fournir à des prix accessibles les femmes de conditions. Sensiblement les mêmes qui recourent de nos jours au prêt-à-porter de luxe.
Jusque dans l'immédiat après-guerre, l'image de la femme aisée demeure celle d'une créature intouchable, parée pour l'arbitraire saisonnier du couturier-démiurge, la moyenne bourgeoise devant se contenter des couturières de quartier, nombreuses et souvent fort habiles à adapter les patrons griffés que distilles les revues de mode. Après la guerre, celles qui ont pignon sur rue iront jusqu'à proposer une sorte de demi-mesure : des modèles tout faits que fournissent certaines maisons de coutures, et qu'on finit sur la cliente - sorte de paléolithiques des futures boutiques de prêt-à-porter. Quant aux classes modestes, elles utilisent la machine à coudre ou s'habillent en grande confection. Laquelle présente sous l'étiquette de grands fabricants (Weill, Weimberg, Mendès, Lempereur, etc.) un vêtement sans doute honnête, mais terne et qui n'entretient plus avec la mode qu'un lointain rapport.
C'est l'émergence de Christian Dior en 1947 qui marque simultanément l'apogée de la Haute-Couture, son déclin et sa déclinaison en de multiples licences. Après le second conflit mondial et l'occupation qui laisse la France exsangue, Monsieur Dior restaure aux yeux du monde une Haute-Couture française digne des principes de Worth. Sa crinoline, ses balconnets pigeonnants, ses capelines agissent comme un bouclier, face aux tentatives de satellisation de nos libérateurs, derrière lesquels se profilent les puissants industriels du textile américain. Mais la société a changé. Le coût de la main-d'oeuvre, les charges diverses augmentent désormais de façon vertigineuse le prix de ces robes coupées sur mesure pour une élite qui va se raréfiant. Pressé par son homme d'affaire, Jacques Rouet, Dior signe en 1949 son premier contrat de licence. Aux bas nylon qui seront fabriqués pour et par les américains, sous le contrôle et le nom du couturier parisien, succèderont : cravates, foulards, cuir, sans parler des cosmétiques et des parfums qui justifieraient à eux seuls une étude particulière. »